Source : le journal de la Marine Marchande.
L’encombrement des ports, les retards des navires et les goulets d’étranglement dans les infrastructures continuent de dicter leurs conditions au marché du conteneur. Les ports européens sont mis à leur tour sous pression. CMA CGM se dit contraint d’éviter le port du Havre sur un de ses services et de transborder à Anvers pendant trois mois.
Effet de cascade sur les ports européens. La congestion portuaire, engendrée par une conjonction de facteurs – les arriérés accumulés durant les mois de pandémie, le boom inédit de la demande, le manque de navires et de conteneurs – colonise toujours plus de ports. La situation est critique depuis bientôt un an (en août) dans les ports américains et chinois. La chaîne d’approvisionnement fonctionnant déjà au-delà de sa capacité nominale, toute perturbation provoque encore plus de congestion et de retards. Les chocs, tels le blocage du canal de Suez et la fermeture du Greater China Yantian dans le sud de la Chine, ont ainsi aggravé les tensions. Les transporteurs se heurtent désormais à l’engorgement des principaux ports européens mis à leur tour sous pression.
La situation a obligé THE Alliance (Hapag-Lloyd, HMM, Yang Ming, One) et 2M (Maersk, MSC) à ajuster temporairement les rotations européennes de leur deux grandes boucles Asie – Europe du nord en supprimant notamment Hambourg et Rotterdam. THE Alliance a annoncé qu’elle allait éviter pour une période de sept semaines les escales de son service FE4 vers l’est à Rotterdam.
Les partenaires de 2M ont décidé de leur côté de détourner huit escales à Hambourg, deuxième port de déchargement d’Europe du nord, de leur service commun AE-7/Condor en juin et juillet vers le terminal de la mer du Nord de Bremerhaven.
CMA CGM supprime le Havre et transborde à Anvers
Au tour de CMA CGM de faire valoir une « congestion trop intense » et « un manque de productivité constatés depuis des mois en Europe du nord » qui affectent « la fiabilité des horaires de son service » pour justifier le saut d’escale au Havre, sacrifié pour « maintenir sa qualité de service dans cet environnement difficile ». Le Havre est le dernier port export sur ce service et fait les frais des retards dans les ports du nord qui le précède. Sans doute les armateurs cherchent-ils à préserver garder fenêtre de passage à Panama. Le service Eurosal, reliant l’Europe du nord à l’Amérique du sud et aux Caraïbes, en fait les frais. La ligne est opérée avec Hapag-Lloyd et Cosco au moyen de navires de 10 500 EVP.
« Malheureusement, cette situation ne devrait pas s’améliorer avec la période estivale », indique l’armateur français qui fait état d’une suspension de trois mois à compter du 6 juillet. Pour couvrir l’import et l’export depuis Le Havre, CMA CGM proposera un transbordement à Anvers pendant toute la durée de la suspension.
Pendant trois mois, le service effectuera la rotation entre Rotterdam, London Gateway, Hambourg, Anvers, Caucedo, Cartagena, Manzanillo, Buenaventura, Posorja, Callao, Puerto Angamos, San Antonio, Callao, Posorja, Manzanillo, Cartagena, Caucedo et retour dans le port néerlandais.
401 navires en retard de plus de quinze jours sur le transpacifique
Alors que les taux de fret ont augmenté de 332 % par rapport à l’année précédente selon Drewry, la fiabilité horaire déraille. Au cours des cinq premiers mois de 2021, 401 navires opérant sur transpacifique et 144 exploités sur l’Asie-Europe sont arrivés avec plus de quinze jours de retard, selon les données de Sea-Intelligence. C’est en cela bien plus que les retards enregistrés au cours des huit dernières années cumulées. En comparaison, pour la période 2012-2020, seuls 388 navires sont arrivés avec plus de deux semaines de retard par rapport à leur ETA (Estimated Time Arrival, heure d’arrivée prévue) entre les ports chinois et américains, et 69 entre Asie et Europe.
Le consultant invoque une mauvaise utilisation des actifs déployés, notamment en raison des niveaux de congestion sans précédent et des retards de navires qui en résultent car « la capacité déployée est actuellement plus importante que jamais.»
La capacité absorbée en permanence par les retards
Selon Sea-Intelligence, pour un service aller-retour de six semaines exploité avec six navires de 10 000 EVP, cinq jours de retard sur le trajet aller et deux sur le retour font passer la rotation à sept semaines, nécessitant alors un navire supplémentaire de 10 000 EVP pour compenser la perte de capacité induite par le retard. Ainsi, selon l’analyste, pour maintenir la même capacité hebdomadaire, le transporteur doit de facto augmenter la capacité nominale de 16,7 %. « Une hausse de la demande du marché de 16,7 % aurait nécessité la même réaction en terme de nouvelles capacités à déployer sur le marché. »
En suivant ce raisonnement, environ 25 % de la capacité déployée sur le transpacifique en janvier-avril 2021 a été absorbée par les retards des navires et 11 % sur la ligne Asie-Europe, moins touchée, cours des quatre premiers mois de l’année.
« D’un point de vue mondial, au plus fort de la congestion, en février 2021, près de 12 % de la capacité mondiale de conteneurs a été absorbée par les retards des navires et encore de 8,6 % en avril, ce chiffre », démontre le consultant danois. Concrètement, 2,8 MEVP ont ainsi été « avalés » en février par les retards et 2,1 MEVP en avril. L’ensemble des porte-conteneurs de 18 000 EVP totalisant une capacité de 2,7 MEVP, « la congestion en 2021 est d’une telle ampleur que l’effet est le même que si l’ensemble du secteur avait décidé de retirer du marché la totalité de cette flotte. »
Hapag-Lloyd s’engage
Hapag-Lloyd a engagé l’initiative sur ce terrain, en prenant en considération la problématique et en faisant de la fiabilité des horaires « un des principaux défis auxquels est confrontée l’industrie mondiale du transport maritime ». Søren Toft, le PDG de MSC, l’affirmera également dans ces termes.
Le transporteur allemand dit avoir modifié ses procédures et s’être doté d’outils technologiques pour offrir plus de visibilité « avec des mises à jour plus rapides, plus fiables et proactives sur les horaires de ses navires » de façon à permettre à ses clients une planification plus serrée. « Nous reconnaissons pleinement qu’aujourd’hui, nous sommes encore loin d’atteindre les niveaux de fiabilité que nos clients attendent de nous et de l’ensemble du secteur. La fiabilité du transport et, parallèlement, la transparence sur les changements d’horaires sont des caractéristiques de service importantes que les clients apprécient dans la gestion de leurs chaînes d’approvisionnement mondiales », reconnait Rolf Habben Jansen, le PDG de Hapag-Lloyd, qui s’oblige ainsi à ce que les navires arrivent à l’heure ou au moins dans la journée de l’ETA indiquée dans la confirmation de réservation.
Dans le rapport Sea-Intelligence Global Liner Performance Report, Hapag-Lloyd est passé de la douzième à la quatrième place parmi les quinze compagnies passées au filtre entre décembre 2019 et avril 2021. Manifestement, le numéro conq mondial du transport maritime veut faire de « cet aspect critique du service qu’elle fournit à ses clients » un facteur de différenciation par rapport à ses concurrents. Et se fixe un cap pour être un moteur actif du changement dans ce domaine.
Adeline Descamps